Au promeneur…
La façade d’une maison est à celui qui la regarde »
(Lao-Tseu, -570, -490).
Le village niché dans sa vallée
Ces pages, cher Ami, se veulent des témoins du patrimoine et de quelques pans de la mémoire de Chanly, un des villages de l’entité wellinoise, le plus séduisant, au demeurant.
Rien qu’à l’énoncé du nom, se chevauchent des consonances agrestes et musicales. Une flânerie sur l’ondoyant chemin menant à Outre-Lesse, entre riches pâtures et rivière d’argent, dans les chants des oiseaux, suffit à les faire goûter.
Le village, divisé en deux versants par la Lesse mais rassemblé par un pont double, est comme lové aux creux d’un gigantesque hamac, la tête accrochée à la Calestienne multiflore et le bas rivé au giboyeux massif ardennais.
Tout Chanly est silence, sérénité et pleine harmonie entre ses gens dans la touffeur capiteuse du jour. Le « tienne » de Jeumont, seul, pleure sa haute croix de pierre, mise à bas par l’âge et les éléments, et se morfond d’être si proche de la turbulente autoroute.
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De ce haut lieu, descendez par » Malbroue » ou » Molinchamps » pour atteindre la rue de la Boverie, seule voie, avec la neuve rue de France (1864), à avoir opté pour une ligne voisine de la droite. En recul de minces » usoirs » aujourd’hui désaffectés, d’anciennes fermettes ou maisons de journaliers, coiffées d’ardoises, nous offrent leurs façades de pierres nues ou chaulées, où se mêlent les grès de » Loigne » et le calcaire des » Relais « . Certaines sont dignes des pinceaux d’émules d’un Barthélémy ou d’un Raty, à moins que, conquis par lui, ils ne préfèrent caresser sur la toile le doux mamelon de Marcatin . |
Au long des autres rues et » rouwales » s’égrènent d’autres petites propriétés famennoises, à la typique triade: corps de logis, étable et grange à porte charretière. A voir de très haut cet ensemble de chemins, s’impose d’emblée l’image de nombreux bras d’un poulpe dont le corps s’étirerait de la place au pont.
Vous avez quitté le » Tombois « , évocateur d’un champ de repos mérovingien, et vous foulez une spacieuse aire où jadis se disputaient des jeux de balle au tamis. Devant vous s’incurve une rue montante » Al Roue « , section de la principale voie antique, dite » de Givet à Mirwart « . A gauche, dans celle-ci, plonge la rue du Cloutier, centre du quartier des » Gruzis » (grêlons) sur le site hautement mémorable, aujourd’hui » la scierie « , d’un moulin à eau plus que millénaire. La Lesse est là, dans sa tranquille pérennité et tout épanouie depuis qu’elle s’est dégagée de son corset, sitôt franchie la maison des Maîtres des Forges de Neupont.
Le pont traversé, gravissez un de ces sinueux accès menant autrefois, croit-on, au château des Seigneurs d’Une, les Pochet. Leur succédèrent des personnages notables: le docteur Gilles, bâtisseur d’un petit manoir (1792), Léocadie, fille du philosophe-ermite Edmond d’Hoffschmidt et Joseph Wégimont qui a fait ériger la croix de Jeumont . Devenu, grâce à la générosité de ce dernier, le séminaire des Missions Africaines de Lyon, le manoir va disparaître pour faire place à un dernier havre paisible pour les ainés de la région. La poursuite de votre ascension vous réserve une surprise : des » Goffes « , premier socle d’ Ardenne, au bord nord du plateau des » Belles Plumes « , la vue de la vallée, côté couchant, est vraiment superbe.
Au retour, empruntez le petit lacet qui enserre » So l’Tiyou » (sous le tilleul), endroit à l’allure d’une sympathique redoute, toute de guingois, puis faites une halte recueillie dans la petite église Saint-Remacle de 1847.
L’antique gare du vicinal (aujourd’hui domicile privé), et l’entrée du quartier du Tilleul |
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Autrefois | Aujourd’hui |
Tant la rusticité de la taille de la » théothèque » du XVIe s. que la rudesse apparente du chemin de croix de notre époque, dû à Friedl Meister, ne manqueront pas de vous émouvoir .
Le choeur de l’église paroissiale, tel qu’il existait dans les années 20.
Mais, assurément, les jambes vous pèsent: aussi, après avoir jaugé l’élégance du volume et des lignes de la gentilhommière jouxtant la Lesse , et hélas! désormais enterrée, acceptez de vous défatiguer. Entre les deux ponts se révèle un mignon jardin public, sur l’ilot de la rivière, appelé » Ile Mathieu » ou » Ile du moulin « . C’est là que jadis se trempait, se battait et se blanchissait le linge (Al rèmouye).
Le troisième pont de Chanly, aujourd’hui disparu, qui conduisait vers « Al rèmouye« | Le même point de vue, aujourd’hui |
Calé sur le banc du fond, aux écoutes, vous apprécierez mieux encore la sobre grandeur et la quiétude de Chanly. Les bruissements des peupliers auxquels vous êtes presque adossé et, plus loin aussi, les crissements sourds de l’activité des hommes dans la scierie se superposent au murmure sans fin de l’eau courante et aux sifflets des merles frondeurs.
Laissez-vous bercer, comme dans un enivrement, entre les candélabres affaissés des arbres pleureurs, les yeux mi-clos sur les marronniers, gardiens mastodontes de ce minuscule éden, à cette heure quasi-vespérale.
Au bout de votre longue course, mais tellement agréable, revivez les images multiformes de ce patelin aux huis nets, paisibles et sans histoires, hors celles du bonheur d’ y vivre.
Jouissez-en, c’est votre droit. Le père Hugo, paraphrasant le sage chinois cité en exergue, n’a-t-il pas écrit que si l’usage d’un monument ou d’un site appartient au propriétaire, par contre, » leur beauté est à tout le monde « .
Francis COLLET (avec l’aimable autorisation de l’auteur).
Ce texte a été publié dans la brochure, aujourd’hui épuisée « Chanly aux temps oubliés » (Edition du Centre d’Histoire et de Traditions de Wellin – 1992).